Chroniques

par laurent bergnach

Charles Gounod
Mireille

2 DVD FRA Musica (2010)
EDV 1610 - FRA 002

Le 21 mai 1854, au château de Font-Ségugne (Vaucluse), une association littéraire voit le jour, qui réunit sept poètes provençaux – Théodore Aubanel, Jean Brunet, Paul Giéra, Anselme Mathieu, Frédéric Mistral (1830-1914), Joseph Roumanille et Alphonse Tavan – désireux d’assurer la défense des cultures régionales traditionnelles et la sauvegarde des parlers d'oc par une codification de l’orthographe : le Félibrige (lou Felibrige). Tandis que l’étoile à sept branches en devient l’emblème – Sainte Estelle (estello/étoile) ayant patronné la naissance de la confrérie –, Mistral propose l’hymne – la Coupo, sur un chant de Noël de Nicolas Saboly (1614-1675) – ainsi que son étendard le plus connu : Mirèio, publié en 1859.

À peine sorti de la présentation de Faust au Théâtre Lyrique [lire notre critique du DVD], Charles Gounod s’intéresse à ce vaste poème amoureux et épique dont il perçoit toute l’originalité : alors que Les Fleurs du Mal et Madame Bovary (1857) font scandale par leur romantisme sulfureux, Mistral met en avant la vie des humbles dans une Provence qui retrouve le tragique antique. En mars 1863, le compositeur répond à l’invitation de l’écrivain de venir dans sa région et y puise une inspiration dépouillée d’un folklore trop facile. Une fois le livret de Michel Carré approuvé par Mistral, Gounod écrit sa partition en trois mois. Elle sera malheureusement boudée par le public des pastorales insouciantes, lors de la création du 19 mars 1864.

Réduit par la suite à trois actes (1889), offrant une fin heureuse sacrilège – sans l’accord de Gounod –, Mireille retrouve sa forme originelle en 1939 et s’affiche à l’Opéra National de Paris soixante-dix ans plus tard, inaugurant le mandat de Nicolas Joel [lire notre chronique du 15 septembre 2009]. L’ancien patron du Capitole en signe une mise en scène qui vise à l’épure, pour respecter « un opéra d’une simplicité et d’une délicatesse ineffables, qui fait passer les codes de l’opéra au second plan et laisse s’épanouir l’émotion ». Attentif à « la vérité des personnages », c’est dans des décors et des costumes cuits par le soleil – Ezio Frigerio, Franca Squarciapino – qu’il fait évoluer une nouvelle génération de chanteurs prête à reprendre la tradition.

Malgré sa piété qu’on pourrait moquer, le rôle-titre dépasse la caricature rurale et s’avère moins lisse que bien des cocottes parisiennes. Mireille – qui doit se battre pour protéger l’amour naissant – se montre d’abord badine avec son âme sœur, bravache avec le prétendant Ourrias, rebelle avec son père, volontaire face au Désert de La Crau, etc. Inva Mula sait nous la rendre attachante, même si le soprano souffre de quelques accrocs dans la fluidité du chant. Charles Castronovo (Vincent évident) s’avère un ténor souple et corsé, à la belle pâte vocale. Lors de la prière aux Saintes Maries, Anne-Catherine Gillet (Vincenette) offre un duo équilibré avec l’amie de son frère.

D’autres artistes, plus jeunes encore – Sébastien Droy (Andreloun), Amel-Brahim Djelloul (Clémence) ou Ugo Rabec (le Passeur) –, côtoient des aînés qui n’ont rien à prouver : Alain Vernhes (Ramon crédible et fiable), Sylvie Brunet (Taven sonore et expressive), Franck Ferrari (Ourrias stable et vaillant), ainsi que Nicolas Cavallier (Maître Ambroise, dans un mauvais jour). Le Chœur convainc plus du côté masculin, notamment par les pianissimi livrés au Val d’Enfer (enclave wébérienne au sein d’un héritage mozartien). Équilibriste soucieux de profondeur et de lumière, Marc Minkowski [lire notre entretien] maintient l’orchestre maison entre légèreté spirituelle et entrain bon enfant pouvant être martelé, comme la farandole de l’Acte II.

Huée à la première, disséquée par la critique – qui va jusqu’à reprocher un champ de blé là où fleurit la lavande –, cette production peut être vue avec du recul, maintenant que s’éloigne la passation de pouvoir entre Mortier et Joel. Soyons honnête : on trouve des univers campagnards dans Onéguine et Jenůfa, rendus avec un naturalisme qu’on ne songe pas à dénoncer. Le dramaturge Christophe Ghristi – qui, avec Joel et Minkowski, raconte la genèse de l’œuvre pendant près d’une demi-heure – souligne ce qui gêne sans doute derrière le traditionalisme reproché : « Une fois qu’il s’est fait entendre, ce chant de la vie profonde, des âmes à genoux, ce chant-là nous fait paraître tous les autres seulement tapageurs ».

LB